Germes de haine.
...C’est dans cette période de latence, d’attente, que je me mis à lire attentivement Mein Kampf. Au début, quand on nous avait confié l’ouvrage, je n’y avais pas vraiment prêté attention. Pris par les exercices en plein air, les défis quotidiens, je rentrais à Bertastrasse si fatigué que je n’avais nulle envie d’ouvrir un livre. Mais par la suite, l’ambiance chez moi devint vraiment lourde. Mon père et ma sœur étaient absents ou rentraient à la nuit tombée. Mutti restait assise, le regard hébété, le coude posé sur un coin de la table de la cuisine. La voir me remplissait d’un mélange curieux de dégoût, de pitié, de crainte aussi : voilà ce que pouvait devenir un être humain quand il se laissait aller.
La maison était silencieuse, envahie peu à peu par le crépuscule ; elle me paraissait comme remplie d’immobilité, de tristesse, de mort. J’aurais voulu prendre mon tambour, frapper le plus fort possible. Pousser des cris. Tout casser autour de moi, m’enfuir… Je ne sais pas, mais faire quelque chose en tous cas. Je me sentais impuissant, piégé comme une mouche dans une toile d’araignée gluante. Je tournais dans les couloirs, attentif à ne pas faire grincer le plancher, comme si l’absence totale de sons avait étouffé toute velléité d’en produire. Je n’osais respirer qu’à grand-peine.
C’est ainsi qu’un soir de désœuvrement, je repensai à cet objet resté là, sur une étagère, et presque oublié. Dans la pénombre étouffante de ma chambre, assis sur mon lit, je commençai à tourner les pages.
Au départ, j’étais essentiellement mû par la curiosité. Le début ne me séduisit pas tellement. Les conflits entre Hitler et son père, l’un voulant devenir artiste, l’autre tentant de l’en empêcher… Certes, cela m’interpellait, puisque moi-même, quand j’avais rencontré Ernst, avais eu un élan très fort vers la peinture. Cependant, cette motivation s’étant estompée en moi, je ne me sentais plus concerné. Je me forçai à parcourir ces quelques paragraphes en me disant que la suite m’intéresserait peut-être.
Rapidement, je fus pris dans l’engrenage. J’appréciai sa vision originale, singulière, de la chose politique. A mesure que je progressai, mon admiration grandissait pour ce personnage, qui s’était construit tout seul.
En quelques jours, j’eus terminé de parcourir cette œuvre. Il en ressortait quelques points qui me frappèrent particulièrement :
Tout d’abord, il était manifeste qu’Adolf Hitler se lancerait, tôt ou tard, dans une conquête de cet espace vital qu’il revendiquait à l’Est. Sa haine du Bolchévisme et des peuplades Slaves faisait de ces territoires un passage obligé de l’expansion inexorable du sang Allemand. Ensuite, il était parfaitement clair que le rattachement de l’Autriche au Reich serait le premier jalon de cette extension territoriale. Et puis, il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les Juifs n’avaient pas fini d’en voir de toutes les couleurs. Notre épanouissement en tant que communauté ne pourrait se faire qu’à leur détriment, puisqu’ils étaient désignés comme nos ennemis mortels, ceux qui polluaient, qui pourrissaient la Nation. Jusqu’où pouvait nous conduire l’antisémitisme d’Hitler ? A l’époque, je l’ignorais. Plus encore, je ne savais pas à quel point j’allais m’impliquer dans le processus qui serait ensuite nommé la « Solution Finale ».
Je tentai d’en discuter avec Franz. Il m’avoua ne pas avoir pris la peine de lire la prose de notre Führer. Mais il fut d’accord sur l’essentiel : tôt ou tard, il nous faudrait nous battre, et bouter hors d’Allemagne les indésirables de tout poil, sans faire de détails, avec une haine implacable. Réparer l’injustice du traité de Versailles. Et clouer le bec aux rouges, définitivement. A l’évidence, cela ne se ferait pas sans effusion de sang.
En fait, il n’attendait que ça. Il voulait en découdre.
Nous en conclûmes que si nous voulions participer à l’Histoire, notre but premier serait d’entrer dans l’armée, peut-être même préparer une école d’officiers. En attendant, nous devions exceller dans notre section des Hitlerjungen. N’importe comment, étant le fils du docteur Ström, il était impératif pour moi de me montrer irréprochable.
La maison était silencieuse, envahie peu à peu par le crépuscule ; elle me paraissait comme remplie d’immobilité, de tristesse, de mort. J’aurais voulu prendre mon tambour, frapper le plus fort possible. Pousser des cris. Tout casser autour de moi, m’enfuir… Je ne sais pas, mais faire quelque chose en tous cas. Je me sentais impuissant, piégé comme une mouche dans une toile d’araignée gluante. Je tournais dans les couloirs, attentif à ne pas faire grincer le plancher, comme si l’absence totale de sons avait étouffé toute velléité d’en produire. Je n’osais respirer qu’à grand-peine.
C’est ainsi qu’un soir de désœuvrement, je repensai à cet objet resté là, sur une étagère, et presque oublié. Dans la pénombre étouffante de ma chambre, assis sur mon lit, je commençai à tourner les pages.
Au départ, j’étais essentiellement mû par la curiosité. Le début ne me séduisit pas tellement. Les conflits entre Hitler et son père, l’un voulant devenir artiste, l’autre tentant de l’en empêcher… Certes, cela m’interpellait, puisque moi-même, quand j’avais rencontré Ernst, avais eu un élan très fort vers la peinture. Cependant, cette motivation s’étant estompée en moi, je ne me sentais plus concerné. Je me forçai à parcourir ces quelques paragraphes en me disant que la suite m’intéresserait peut-être.
Rapidement, je fus pris dans l’engrenage. J’appréciai sa vision originale, singulière, de la chose politique. A mesure que je progressai, mon admiration grandissait pour ce personnage, qui s’était construit tout seul.
En quelques jours, j’eus terminé de parcourir cette œuvre. Il en ressortait quelques points qui me frappèrent particulièrement :
Tout d’abord, il était manifeste qu’Adolf Hitler se lancerait, tôt ou tard, dans une conquête de cet espace vital qu’il revendiquait à l’Est. Sa haine du Bolchévisme et des peuplades Slaves faisait de ces territoires un passage obligé de l’expansion inexorable du sang Allemand. Ensuite, il était parfaitement clair que le rattachement de l’Autriche au Reich serait le premier jalon de cette extension territoriale. Et puis, il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les Juifs n’avaient pas fini d’en voir de toutes les couleurs. Notre épanouissement en tant que communauté ne pourrait se faire qu’à leur détriment, puisqu’ils étaient désignés comme nos ennemis mortels, ceux qui polluaient, qui pourrissaient la Nation. Jusqu’où pouvait nous conduire l’antisémitisme d’Hitler ? A l’époque, je l’ignorais. Plus encore, je ne savais pas à quel point j’allais m’impliquer dans le processus qui serait ensuite nommé la « Solution Finale ».
Je tentai d’en discuter avec Franz. Il m’avoua ne pas avoir pris la peine de lire la prose de notre Führer. Mais il fut d’accord sur l’essentiel : tôt ou tard, il nous faudrait nous battre, et bouter hors d’Allemagne les indésirables de tout poil, sans faire de détails, avec une haine implacable. Réparer l’injustice du traité de Versailles. Et clouer le bec aux rouges, définitivement. A l’évidence, cela ne se ferait pas sans effusion de sang.
En fait, il n’attendait que ça. Il voulait en découdre.
Nous en conclûmes que si nous voulions participer à l’Histoire, notre but premier serait d’entrer dans l’armée, peut-être même préparer une école d’officiers. En attendant, nous devions exceller dans notre section des Hitlerjungen. N’importe comment, étant le fils du docteur Ström, il était impératif pour moi de me montrer irréprochable.
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