Le Seigneur est mon berger...
Bonjour,
Ces derniers temps, je ne sors pas beaucoup. Alors, quand je mets le nez dehors, le contraste n'en est que plus grand.
Je suis frappé, lors de mes incursions dans les temples de la consommation, d'une sorte d'effet de masse. Me viennent alors en tête des pensées, des intuitions, quel mot employer ? En tous cas des idées que ne renierait pas un entomologiste, et que je vous livre telles quelles :
Nous sommes dans une culture de l'individuel, poussée à l'outrance. On nous flatte, on nous brosse dans le sens du poil. On nous pousse à penser que nous avons tous quelque chose d'unique - ce qui n'est pas faux. Mais mieux encore, dans cette société dominée par le star system, où ne semblent dignes d'intérêt que les top models, les footballeurs et les chanteuses à la mode, société à deux vitesses qui distingue d'un côté les demi-dieux, de l'autre le public qui n'est là que pour applaudir, on donne à penser à ce public qu'il pourrait, lui aussi, s'il était touché par la chance, devenir la star de demain. D'où le succès des karaoké, des sitcoms qui font la part belle à la notion de talent.
Le talent, tout le monde n'en a pas. Je le sais, j'ai cru longtemps que j'en avais. Du reste, il n'est pas exclus que j'en aie, mais simplement, j'ai compris que ça ne suffit pas. Si on prend les gens qui sont porteurs d'un talent, à un niveau suffisant pour pouvoir réaliser quelque chose qui tienne debout techniquement et esthétiquement, reste que sur tous ceux qui mériteraient de réussir, seuls une poignée réussira. Cela n'enlève rien au fait que je compose des choses assez sympa, mais je ne suis pas le seul dans le créneau où je me situe ( globalement, les influences de musiques répétitives et de jazz fusion ), et si on me mettait face à tous ceux qui chassent exactement dans les mêmes eaux que moi, je me sentirais probablement assez mal parce que ma notion d'identité s'en trouverait menacée. Sans compter le fait que je trouverais sûrement plus mariole que moi, à plus d'un titre, et loin devant.
En fait, nous sommes dans une illusion constante. Nous nous identifions à différentes petites choses qui certes existent mais que nous croyons uniques. Notre caractère ? Formé par l'éducation que nous avons reçue. Nos goûts ? Socialement hérités par notre appartenance de classe, par le biais de ce que Pierre Bourdieu appelle l'habitus. Et encore, quand Bourdieu a écrit "la distinction", on n'avait pas encore à l'époque les phénomènes de matraquage intensif par le biais des chaînes de télévision. Maintenant, on clone les individus. Un jour j'ai vu un reportage. A Londres, une boite branchée organisait une soirée X files. On voyait plein de filles qui s'étaient démenées pour ressembler le plus possible à la miss Anderson. On aurait dit une armée de clones. Toutes ces pauvres filles, démultipliées à l'infini, ayant volontairement accepté de nier leur identité... Je crois que lorsque je revendique mon appartenance à telle culture, dont je suis fier, quand je dis j'aime ceci, j'adore tel auteur, tel film, telle musique, je ne suis pas conscient du fait que des milliers d'autres en font autant. J'oublie. Je me régale à écouter ce qu'untel ou untel a composé, comme si ça avait été fait à mon intention, parce qu'il y a adéquation entre cette culture à laquelle j'adhère et ce que j’imagine être, à tort ou à raison, mon moi profond. Cette adéquation me conforte dans mon univers et me renforce dans mes goûts. Mais quelque part je m'installe dans un profil, un cadre, un pattern ou si l'on veut, un sociostyle, peu importe l’étiquette qu’on met sur le phénomène, en tous cas il me semble qu’il est là, perceptible pour qui veut s’en donner la peine. Comme par hasard, les gens qui aiment les mêmes choses que moi me ressemblent, on la même vision des choses, du monde, les mêmes habitudes alimentaires, les mêmes références culturelles, les mêmes... Et ça donne le vertige. Car si on appartient à une sous-culture, peu dominante, on a peu de chances de retrouver des gens qui nous ressemblent, sauf à se rendre à une manifestation particulière. Mais quand on est taillé dans le moule le plus utilisé, là... Et quand je vois les jeunes qui traînent dans les centres commerciaux, j'ai le vertige car ils ont tous la même allure, ils écoutent tous les trucs à la mode, portent les mêmes fringues, trimballent en tête les mêmes valeurs... Je ne dis pas ça pour les critiquer, au fond je les aime bien, mais ils me font l'effet d'être victimes d'une sorte d'effet pervers de la vie en société. Et moi, idem, sauf que je suis victime à un autre niveau de conscience, simplement. Je n'aime pas les mêmes choses qu'eux, je me crois différent alors qu'en réalité, j'appartiens simplement à un groupe plus marginal. Ceci étant relatif, car d'autres groupes existent, encore plus marginaux, et ainsi de suite. Tout ça n'est qu'un artéfact.
En réalité, il me semble que nous ne savons pas qui nous sommes. Nous sommes des êtres que la vie a placés là, et qui font de leur mieux pour trouver un sens à leur existence, quitte à le fabriquer de A à Z, de façon tout à fait artificielle. Quitte à se raccrocher au premier objet culturel venu, qui n’a en réalité pas d’autre fonction. Il est là, d’une pour que le client s’y cramponne, s’y identifie, et le consomme, l’achète. De deux, pour que celui qui l’a conçu puisse le vendre et, éventuellement, devienne une icône encensée par les médias.
Alors nous nous raccrochons. D’abord à notre nom, notre identité, notre appartenance sociale, nos origines. Nos croyances de base, nos idées sur le monde, notre vision si singulière – en réalité, héritée, forgée par l’éducation reçue. Souvent elle n’est que reproduction des valeurs qu’on nous a enseignées. Nous nous accrochons à notre travail, comme s’il nous définissait, alors que souvent, il résulte d’une suite de choix : la filière à l’école, les études ou pas, les contraintes géographiques, l’empan des choix possibles offert au départ, par le milieu. On s’accroche au fait qu’on est marié à untel ou untel, qu’on a tel ou tel gosse, qu’on a appelé comme ci ou comme ça, là encore en fonction de modes… On se forge un sentiment d’identité. Mais on est qui, là-dedans ? Ce n’est pas simple. Alors sont là, pour nous aider, pour nous ancrer, nous fidéliser, toutes sortes d’objets culturels qui nous apportent une appartenance à telle ou telle tribu. Je suis techno, je suis rock, je suis glamour, je suis ceci, je suis cela… Regardez comme les ados ont besoin de la mode, du look, des séries télévisées, pour avoir le sentiment d’exister… et puis, dans cet univers d’artifices, nous emmagasinons d’autres conditionnements. Car ces objets culturels, ces livres, ces films, ces séries télévisées, ces fringues, véhiculent des valeurs, mettent en place des schémas stéréotypés, des modèles de comportements qu’ils présentent comme allant de soi, comme étant les seuls possibles ; toute une culture se met en place, qui se regarde le nombril, qui s’auto-congratule, qui jouit de sa propre image. Nous nous mettons, volontairement ou pas, dans des cases, dans des tiroirs, et nous n’en bougeons plus. Une fois à l’intérieur de notre tiroir, nous nous mettons en conformité avec le comportement attendu de ceux qui vivent dans tel ou tel tiroir. Nous fréquentons des gens qui eux aussi en font partie.
Moi, je ne me prétends pas différent. Mais j’ai le vertige car je ne suis pas dupe.
Je le ressens très fortement à la lecture d’auteurs comme Ballard, par exemple. Il n’a pas son pareil pour décrire les gens avec une vision d’entomologiste. On a vraiment l’impression qu’il est sensible à cet aspect des choses qui n’est, en dernière analyse, qu’une faculté de recul.
Une mise à distance ; au lieu d’être moi, ce « je » qui fait illusion, et de courir après tous les joujoux que le système fabrique et m’agite sous le nez, je prends un instant pour me décentrer, faire une sorte de zoom back qui m’incluse d
Ces derniers temps, je ne sors pas beaucoup. Alors, quand je mets le nez dehors, le contraste n'en est que plus grand.
Je suis frappé, lors de mes incursions dans les temples de la consommation, d'une sorte d'effet de masse. Me viennent alors en tête des pensées, des intuitions, quel mot employer ? En tous cas des idées que ne renierait pas un entomologiste, et que je vous livre telles quelles :
Nous sommes dans une culture de l'individuel, poussée à l'outrance. On nous flatte, on nous brosse dans le sens du poil. On nous pousse à penser que nous avons tous quelque chose d'unique - ce qui n'est pas faux. Mais mieux encore, dans cette société dominée par le star system, où ne semblent dignes d'intérêt que les top models, les footballeurs et les chanteuses à la mode, société à deux vitesses qui distingue d'un côté les demi-dieux, de l'autre le public qui n'est là que pour applaudir, on donne à penser à ce public qu'il pourrait, lui aussi, s'il était touché par la chance, devenir la star de demain. D'où le succès des karaoké, des sitcoms qui font la part belle à la notion de talent.
Le talent, tout le monde n'en a pas. Je le sais, j'ai cru longtemps que j'en avais. Du reste, il n'est pas exclus que j'en aie, mais simplement, j'ai compris que ça ne suffit pas. Si on prend les gens qui sont porteurs d'un talent, à un niveau suffisant pour pouvoir réaliser quelque chose qui tienne debout techniquement et esthétiquement, reste que sur tous ceux qui mériteraient de réussir, seuls une poignée réussira. Cela n'enlève rien au fait que je compose des choses assez sympa, mais je ne suis pas le seul dans le créneau où je me situe ( globalement, les influences de musiques répétitives et de jazz fusion ), et si on me mettait face à tous ceux qui chassent exactement dans les mêmes eaux que moi, je me sentirais probablement assez mal parce que ma notion d'identité s'en trouverait menacée. Sans compter le fait que je trouverais sûrement plus mariole que moi, à plus d'un titre, et loin devant.
En fait, nous sommes dans une illusion constante. Nous nous identifions à différentes petites choses qui certes existent mais que nous croyons uniques. Notre caractère ? Formé par l'éducation que nous avons reçue. Nos goûts ? Socialement hérités par notre appartenance de classe, par le biais de ce que Pierre Bourdieu appelle l'habitus. Et encore, quand Bourdieu a écrit "la distinction", on n'avait pas encore à l'époque les phénomènes de matraquage intensif par le biais des chaînes de télévision. Maintenant, on clone les individus. Un jour j'ai vu un reportage. A Londres, une boite branchée organisait une soirée X files. On voyait plein de filles qui s'étaient démenées pour ressembler le plus possible à la miss Anderson. On aurait dit une armée de clones. Toutes ces pauvres filles, démultipliées à l'infini, ayant volontairement accepté de nier leur identité... Je crois que lorsque je revendique mon appartenance à telle culture, dont je suis fier, quand je dis j'aime ceci, j'adore tel auteur, tel film, telle musique, je ne suis pas conscient du fait que des milliers d'autres en font autant. J'oublie. Je me régale à écouter ce qu'untel ou untel a composé, comme si ça avait été fait à mon intention, parce qu'il y a adéquation entre cette culture à laquelle j'adhère et ce que j’imagine être, à tort ou à raison, mon moi profond. Cette adéquation me conforte dans mon univers et me renforce dans mes goûts. Mais quelque part je m'installe dans un profil, un cadre, un pattern ou si l'on veut, un sociostyle, peu importe l’étiquette qu’on met sur le phénomène, en tous cas il me semble qu’il est là, perceptible pour qui veut s’en donner la peine. Comme par hasard, les gens qui aiment les mêmes choses que moi me ressemblent, on la même vision des choses, du monde, les mêmes habitudes alimentaires, les mêmes références culturelles, les mêmes... Et ça donne le vertige. Car si on appartient à une sous-culture, peu dominante, on a peu de chances de retrouver des gens qui nous ressemblent, sauf à se rendre à une manifestation particulière. Mais quand on est taillé dans le moule le plus utilisé, là... Et quand je vois les jeunes qui traînent dans les centres commerciaux, j'ai le vertige car ils ont tous la même allure, ils écoutent tous les trucs à la mode, portent les mêmes fringues, trimballent en tête les mêmes valeurs... Je ne dis pas ça pour les critiquer, au fond je les aime bien, mais ils me font l'effet d'être victimes d'une sorte d'effet pervers de la vie en société. Et moi, idem, sauf que je suis victime à un autre niveau de conscience, simplement. Je n'aime pas les mêmes choses qu'eux, je me crois différent alors qu'en réalité, j'appartiens simplement à un groupe plus marginal. Ceci étant relatif, car d'autres groupes existent, encore plus marginaux, et ainsi de suite. Tout ça n'est qu'un artéfact.
En réalité, il me semble que nous ne savons pas qui nous sommes. Nous sommes des êtres que la vie a placés là, et qui font de leur mieux pour trouver un sens à leur existence, quitte à le fabriquer de A à Z, de façon tout à fait artificielle. Quitte à se raccrocher au premier objet culturel venu, qui n’a en réalité pas d’autre fonction. Il est là, d’une pour que le client s’y cramponne, s’y identifie, et le consomme, l’achète. De deux, pour que celui qui l’a conçu puisse le vendre et, éventuellement, devienne une icône encensée par les médias.
Alors nous nous raccrochons. D’abord à notre nom, notre identité, notre appartenance sociale, nos origines. Nos croyances de base, nos idées sur le monde, notre vision si singulière – en réalité, héritée, forgée par l’éducation reçue. Souvent elle n’est que reproduction des valeurs qu’on nous a enseignées. Nous nous accrochons à notre travail, comme s’il nous définissait, alors que souvent, il résulte d’une suite de choix : la filière à l’école, les études ou pas, les contraintes géographiques, l’empan des choix possibles offert au départ, par le milieu. On s’accroche au fait qu’on est marié à untel ou untel, qu’on a tel ou tel gosse, qu’on a appelé comme ci ou comme ça, là encore en fonction de modes… On se forge un sentiment d’identité. Mais on est qui, là-dedans ? Ce n’est pas simple. Alors sont là, pour nous aider, pour nous ancrer, nous fidéliser, toutes sortes d’objets culturels qui nous apportent une appartenance à telle ou telle tribu. Je suis techno, je suis rock, je suis glamour, je suis ceci, je suis cela… Regardez comme les ados ont besoin de la mode, du look, des séries télévisées, pour avoir le sentiment d’exister… et puis, dans cet univers d’artifices, nous emmagasinons d’autres conditionnements. Car ces objets culturels, ces livres, ces films, ces séries télévisées, ces fringues, véhiculent des valeurs, mettent en place des schémas stéréotypés, des modèles de comportements qu’ils présentent comme allant de soi, comme étant les seuls possibles ; toute une culture se met en place, qui se regarde le nombril, qui s’auto-congratule, qui jouit de sa propre image. Nous nous mettons, volontairement ou pas, dans des cases, dans des tiroirs, et nous n’en bougeons plus. Une fois à l’intérieur de notre tiroir, nous nous mettons en conformité avec le comportement attendu de ceux qui vivent dans tel ou tel tiroir. Nous fréquentons des gens qui eux aussi en font partie.
Moi, je ne me prétends pas différent. Mais j’ai le vertige car je ne suis pas dupe.
Je le ressens très fortement à la lecture d’auteurs comme Ballard, par exemple. Il n’a pas son pareil pour décrire les gens avec une vision d’entomologiste. On a vraiment l’impression qu’il est sensible à cet aspect des choses qui n’est, en dernière analyse, qu’une faculté de recul.
Une mise à distance ; au lieu d’être moi, ce « je » qui fait illusion, et de courir après tous les joujoux que le système fabrique et m’agite sous le nez, je prends un instant pour me décentrer, faire une sorte de zoom back qui m’incluse d
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