Toujours à l'extrémité de la planche.

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ubik
le 16/02/2009
Bonjour,

Vous connaissez l'histoire du type qui est en otage chez les pirates ? Ils le mettent au bout d'une planche, au-dessus de l'eau ( généralement, il y a les requins en bas ) et ils l'obligent à avancer, avec des piques. Et le type, peu à peu, se rapproche du bord de la planche. Plus que 20 cm... Plus que 15... etc.

Eh bien moi je me sens comme ça. Depuis pratiquement toujours.

J'en viens à penser qu'il n'existe pas de place pour moi dans ce système.

Je suis, fondamentalement, un créateur. Or, le monde n'a que faire de gens comme moi. En général, ils sont reconnus, enfin, quelques uns, à titre posthume dans le meilleur des cas.

Il y a aussi les "artistes". Mais si on entend par là les Obispo, Bruel et tutti quanti, alors je n'en fais pas partie. Ces gens-là ne créent rien, ce sont des opportunistes qui exploitent un créneau bien précis, porteur, et même parmi les gens qui s'essaient à ce créneau, il y en a très peu qui réussissent.

Un créateur, par définition, crée. Il propose quelque chose de nouveau, de vraiment novateur. Et donc il s'expose à être, dans la plupart des cas et sauf miracle, incompris de son vivant.

Depuis toujours, j'étais persuadé que si j'avais des dons en moi, ils seraient forcément reconnus. Cette croyance me guidait, me permettait d'absorber les chocs, les éléments douloureux, les questions sans réponses. Elle était comme le phare qui permet de ne pas s'égarer dans la nuit ;

J'en viens à penser maintenant qu'au contraire, cette croyance m'a égaré.

Je crois qu'il n'y aucun caractère obligatoire pour qu'on reconnaisse mes talents, réels ou supposés. Le monde se fout bien de ce que j'ai à offrir et il n'est que chaos et gâchis. C'est ça que je pense depuis quelque temps. Il faut dire que la vie m'a filé des drôles de gnons, qui m'ont bien fait gamberger.

Toujours j'ai eu des problèmes d'intégration, pour trouver ma place. A l'école primaire, j'étais le souffre-douleur. A part, isolé, on me faisait cher payer ma différence, avant même que je fusse conscient de celle-ci. La conscience d'une différence apparut justement à la lumière de la façon dont j'étais traité.

Au collège, difficultés aussi. Puis au lycée. Au final, à la fac également : toujours le même syndrôme, du reste. Certains professeurs m'appréciaient, car atypique. D'autres, pour la même raison, ne pouvaient pas me voir.

Je suis rentré par pur hasard à l'Education Nationale. Là, ça a coincé avec 2 profs, j'ai failli être viré ( alors que par ailleurs mes notes et résultats étaient satisfaisants ).

Nommé dans une école, j'ai commencé à enseigner. Victime de harcèlement par ma directrice, je me suis retrouvé en dépression. Elle avait monté contre moi l'administration, et les parents d'élèves.

Je me suis retrouvé en congé longue maladie pour dépression. Cet échec professionnel a précipité le naufrage de mon couple. La séparation devenant inévitable, mon ex femme a eu l'idée dévastatrice d'utiliser contre moi mes propres enfants. J'ai été accusé de viol sur mineurs. Procès, j'en passe et des meilleures... Après 8 ans de procédures, relaxe, confirmée en appel. Mais je ne revois plus mes enfants, avec qui tout contact est rompu.

A l'issue de tout ce fourbi, je suis sensé reprendre le travail, puisque la parenthèse judiciaire est refermée. Je négocie pour qu'on me réintègre en tant qu'administratif. Je suis nommé dans une école, par un inspecteur qui a pour but :

1 ) de me remettre au travail,
2 ) de progressivement me remettre en contact avec les élèves.

Je fais donc mon boulot dans cette école, avec des tâches administratives. Jusqu'au jour où un collègue, avec l'accord de l'inspecteur, veut me confier un enfant en difficulté. Là je refuse. Pas question pour moi de reprendre contact avec un élève quel qu'il soit. Je ne devrais même pas me trouver dans un établissement où il y en a. Trop douloureux pour moi, qui ne revois plus mes enfants. Trop dangereux aussi : je suis super exposé. En cas de moindre problème, cette fois-ci on me tomberait dessus sans chercher à comprendre. Qu'un gamin prononce une phrase mal interprétée, et je suis cuit, on me tombera dessus sans chercher à comprendre. C'est un risque que je ne peux plus courir. De toutes façons, après avoir passé environ 11 ans sans enseigner, dont 4 sous contrôle judiciaire à éviter tout endroit fréquenté par des enfants, je ne les supporte plus et ne suis plus capable de m'en faire obéir.

Depuis cette proposition de travail avec un élève et refus de ma part, tensions diverses. Incompréhension de la part des uns et des autres, qui ne savent pas ma situation ni pourquoi je me trouve là. Ils interprètent mal mon refus, d'autant que pour tout le reste, je me suis toujours porté volontaire pour les aider.

J'ai demandé un poste de réadaptation pour l'année prochaine. S'il est accordé, je pourrai bénéficier d'un statut protégé pour 1 an, reconductible jusqu'à 3.

Je n'ai en tout et pour tout que 20 ans d'ancienneté.

Si le poste de réadaptation n'est pas accordé, je suis sensé, à la rentrée prochaine, reprendre la responsabilité d'une classe. Je n'en suis pas capable.

Si ce poste est accordé, je peux tenir encore ces 3 ans. Mais je ne vois pas au-delà.

Je me sens souvent au bout de la planche. Au moment où je crois que je vais tomber, in extrémis je trouve une micro-solution qui rallonge un peu la planche, pas de beaucoup. Qui me permet de tenir encore un peu. Mais aucune solution sur du long terme.

Ce que je voudrais faire ? Je ne le sais même plus. Je suis certain que dans des domaines précis, j'aurais pu trouver à m'employer. Mais ils sont assez fermés et je n'y ai aucun contact ( cinéma, décors, etc ). Qui plus est, tout ça se passe à Paris et moi je vis dans le Sud, j'y ai une maison, c'est tout le bien que je possède.

Voilà... Je me sens coincé, je suis l'éternelle pièce rapportée. Il y a des moments, j'ai hâte que tout ça finisse, que je passe l'arme à gauche et au moins, j'en aurai fini avec toutes ces conneries. Je suis un épine dans le pied, pour le système, pour mes proches, pour tout le monde.

A vous lire,

Ubik.
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